Bien que le marché de la publicité en ligne continue de se développer, une étude alerte les annonceurs sur la montée en puissance des adblockers. Parmi les solutions proposées : le commerce conversationnel. Mais les internautes ont-ils réellement envie de discuter pour acheter ? Moins intrusifs et plus efficaces que les humains, les chatbots pourraient constituer des compagnons efficaces au display.
Aujourd’hui, les logiciels limitant l’affichage des publicités en ligne, ou adblockers, touchent 17 % des visites en France [1]. Les plus jeunes internautes utilisent massivement ces services, jugeant la publicité trop intrusive. Cette situation pourrait devenir problématique pour les annonceurs, qui continuent à investir massivement dans la publicité en ligne : le secteur a vu son chiffre d’affaires augmenter de 3,1% en 2015 et talonne celui de la télévision [2].
Deux remèdes émergent dans le discours des professionnels : le brand content et la conversation
Le brand content est supposé susciter l’intérêt des consommateurs et permettre de véhiculer les valeurs des marques de façon moins intrusive que ne le fait la publicité traditionnelle. Son succès auprès des marketeurs est attesté par sa place croissante dans les budgets : les dépenses liées au brand content pourraient doubler d’ici quatre ans, pour atteindre 2,1 md en 2020 en Europe. Quant au native advertising, il pourrait devenir le “format dominant” [3].
Face à la méfiance des internautes vis à vis de la publicité, une autre solution proposée consiste à réorienter les stratégies publicitaires vers une “logique conversationnelle”. En effet, cette démarche se veut moins intrusive et plus adaptée aux attentes des internautes que les formats displays [4]. Mais de quelle conversation parle-t-on ? Lors de la 15ème Journée de recherche sur le marketing digital, le professeur Olivier Badot a qualifié de “hashtag commerce” le flux d’offres promotionnelles interactives diffusées sur smartphones par les marques. Ciblant les consommateurs selon leur activité et leur localisation, ces pratiques sont particulièrement développées en Chine. En France, des dispositifs conversationnels voient le jour en accompagnement de publicités, par exemple lors de la Foire du Vin de Carrefour où un format display attirait l’internaute vers une fenêtre de chat pour échanger avec un expert.
Publicité Carrefour en display sur le site Be.com, consultée le 03/10/2016
Des robots préférés aux humains
Mais a-t-on toujours envie de parler avec un vendeur ? C’est là que le bât blesse. La défiance des consommateurs envers les marques ne milite en fait pas toujours pour le développement de la conversation humaine. Par exemple, une recherche a montré que la personnification ne fait que renforcer le sentiment négatif des consommateurs déjà méfiants envers les marques [5]. De plus, une présence humaine tend à intimider les consommateurs, notamment les plus jeunes. Ces derniers préfèrent échanger avec un agent virtuel qui leur procure un plus grand sentiment de contrôle [6]. En fait, l’être humain en interaction est intrusif par nature : engager la conversation avec quelqu’un fait que l’on empiète inévitablement sur son territoire [7]. Ainsi, si l’association de dispositifs conversationnels à des publicités se développe, la question de l’utilisation d’un être humain ou d’un programme informatique peut se poser.
Des robots plus efficaces que les humains
Moins intrusifs, les robots pourraient être aussi plus efficaces. Selon Le Parisien, 90% des demandes clients peuvent être traitées par des agents conversationnels virtuels, ou chatbots [4]. De plus, les renseignements donnés par les humains ne sont pas toujours les meilleurs. Par exemple, moins d’un appel sur cinq à la Caisse d’allocation familiales reçoit une information précise et plus d’un tiers des internautes appelant Pôle Emploi sont renvoyés vers le site internet. Pour peu que l’on ait un accent étranger, on serait encore moins bien loti, selon une étude du Défenseur des droits et de l’Institut national de la consommation [8]. Mais la présence d’humains pourrait surtout limiter une utilisation à grande échelle des dispositifs publicitaires conversationnels.
Vers des chatbots publicitaires
Jusqu’à présent, les agents conversationnels étaient disponibles essentiellement sur des sites marchands. Cette pratique, devenue un temps désuète avec l’avènement des médias sociaux, semble connaître un regain d’intérêt en bénéficiant du développement de l’intelligence artificielle et des effets de l’expérience. Par exemple, la SNCF vient de débaptiser son agent virtuel Léa pour lui préférer une fenêtre de chat anonyme. Aujourd’hui, la présence de tels agents se développe également au sein des messageries instantanées comme l’application Messenger de Facebook ou des DM (Direct Messages) de Twitter.

Représentation de l’agent virtuel de voyages-sncf.com (avant et après 2016?) [visuel de gauche : crédit noven.fr, accès le 28/09/2016. visuel de droite crédit voyages.sncf.com, accès le 26/12/2016]
Les entreprises ont intégré depuis plusieurs années un traitement automatisé de la relation client. Mais les chatbots sont maintenant appelés à voyager au-delà de leurs sites web et des applications. Imaginons un “lâcher de robots” à grand échelle, comme par exemple l’association d’une fenêtre de chat à une bannière ou à une annonce Adwords. Que se passe-il quand chaque personne touchée par une publicité en ligne est invitée à échanger avec un chatbot ? Est-ce intrusif et mal perçu ? Ou au contraire, cela peut-il créer un effet de surprise aux conséquences positives [9] ? Ces questions restent encore à explorer mais l’irruption des chatbots dans le domaine du marketing et de la publicité continue à apporter son lot de surprises.
En résumé, à mi-chemin entre un“vieux” modèle publicitaire intrusif et un “nouveau” modèle interactif, nous voyons se développer un modèle hybride alliant puissance du display, proximité de la conversation et efficacité des robots. Si vous avez des exemples de tels dispositifs, ou des remarques, je serais heureux de les connaître.
Références
[1] Dumoulin, S. (2016) Les “adblockers” privent les marques de leurs meilleurs prospects, Les Echos, 27 septembre
[2] Richebois, V. (2016) Le marché publicitaire renoue avec la croissance, Les Echos, 27 septembre
[3] Alcaraz, M., Madelaine, N., et Richebois, V. (2016) Pourquoi le “brand content” explose dans les médias, Les Echos, 22 septembre, p.24
[4] Renou, A. (2016) Les robots vous parlent, Le Parisien, 27 septembre
[5] Eskine, K. J. & Locander, W. H. (2014). A name you can trust? Personification effects are influenced by beliefs about company values, Psychology & Marketing, 31(1), 48-53.
[6] Clarkson, 2010 et Graeber & Dolan, 2007, cités par Köhler et al. 2011 :
Köhler, C. F., Rohm, A. J., de Ruyter, K. & Wetzels, M. (2011). Return on interactivity: The impact of online agents on newcomer adjustment, Journal of Marketing, 75(2), 93-108.
[7] Goffman, E. (1973) Les Relations en public. La Mise en scène de la vie quotidienne 2, Traduit de l’anglais par Alain Kihm, Collection Le sens commun, Les Editions de Minuit, Paris.
[8] Plichon, O. (2016) A l’autre bout du fil, les humain ne font pas beaucoup mieux, Le Parisien, 27 septembre
[9] Schamari, J., & Schaefers, T. (2015). Leaving the Home Turf: How Brands Can Use Webcare on Consumer-generated Platforms to Increase Positive Consumer Engagement, Journal of Interactive Marketing, 30, 20–33