Les marques en société

Lors de la conférence annuelle de la Chaire Marques & Valeurs, Bernard Cova, Géraldine Michel et Valérie Zeitoun* ont brossé un tableau original de la présence physique et symbolique des marques dans notre société.

Instantanés de marques 

Depuis ses premiers travaux, Géraldine Michel montre que la marque est un objet à la fois commercial, social et relationnel. Avec le projet «Instantanés de marques», elle propose, en compagnie de Valérie Zeitoun, une interprétation du rôle de la marque dans la société à travers l’analyse de photos en noir et blanc mettant en scène des marques dans la vie de tous les jours. Déjà pendant sa thèse, Géraldine Michel développait des photos dans la chambre noire de l’Université Paris-Dauphine. Elle s’est remise à la photo en 2016, grâce à Instagram. Au fil de ses voyages professionnels et personnels, elle capture l’irruption des marques dans des situations publiques de la vie quotidienne. Un panneau bardé d’enseignes de fast-food au bord d’une route nord-américaine, un baril de lessive posé sur la table d’un café au Vietnam… Mais que nous révèle la présence des marques dans notre quotidien ?

L’analyse interprétative des photos montre que les marques sont omniprésentes dans la société, en s’immisçant dans les situations les plus banales. N’est-il pas étrange que, en observant les panneaux des restaurants en bordure la route nord-américaine mentionnée ci-dessus, on ne puisse se référer qu’aux marques présentées, sans savoir ce que l’on va manger ? Si le touriste connait certainement « Mc Do », il peut se trouver démuni quant à ce que propose « Wendy ». Les marques seraient-elles tellement imbriquées dans la culture qu’elles auraient la valeur d’un vocabulaire qu’on doit connaitre pour ne pas être exclu ?

D’autres situations révèlent la solitude de l’individu dans la ville, diminué par le poids de logos gigantesques peints sur les murs. A l’inverse, les marques peuvent créer du lien : en observant les pieds de deux groupes d’adolescents, Valérie Zeitoun se demande ce qui différencie le « clan unanime » (tous en Adidas) de la « clique dépareillée » (chacun sa marque). En mettant en évidence  des phénomènes d’identification, d’appropriation ou de réinvention des marques par les individus, Géraldine Michel et Valérie Zeitoun montrent comment la marque passe du statut d’objet à celui de sujet au sein de notre société.

La vie sociale des marques 

Bernard Cova travaille depuis plusieurs années sur la façon dont les marques jouent un rôle dans la construction identitaire des individus, avec une approche ethnosociologique. Dans son nouveau livre, « La vie sociale des marques », il étudie la façon donc la société développe une culture de marque sans passer par le marché. Si les entreprises créent des marques et décident pour elles, les marques ont une vie propre sans que les managers interviennent : verbes de marque, communautés de marque, « surfaçons » et volontaire de marques sont les principales manifestations de cette vie sociale des marques.

Bernard Cova montre comment les marques font partie intégrante de notre vie, y compris dans le langage. Le verbe « googliser » témoigne de la nature dynamique de cette présence. Aujourd’hui, « les gens parlent la marque ». Mais les marques ne peuvent pas le décréter. Certaines entreprises craignent d’ailleurs ce « généricide », alors que d’autres tentent de se l’approprier (ex : « Do you Yahoo ? », « Hoover…Nobody does it like you »). Mais ces tentatives marquent une forme de réduction culturelle qui ne porte que rarement ses fruits. Ce sont les individus qui décident de la pertinence et du degré de présence de marques dans leur vie. Celui-ci peut être fort, par exemple dans le cas des communautés de marques (ex : Harley-Davidson, Lego).

Pour Bernard Cova, on assiste à une recomposition de la société autour de groupes affinitaires en fonction des marques. Il peut parfois s’agir d’un phénomène quasi religieux, par exemple lors de grands rassemblements à l’initiative des marques (ex. Ducati) ou lors de « fêtes de marques » organisées sans l’accord des marketeurs – voir contre leur volonté. Ainsi, bien que le World Nutella Day, créé par une consommatrice passionnée, ait permis d’ouvrir le marché américain, Nutella a tenté d’interdire puis de prendre en main cet évènement… en lui faisant perdre son âme au passage. Le phénomène fut le même pour Star Wars Day, aujourd’hui fête plus commerciale que communautaire.

Les franchises de science-fiction constituent un terreau fertile pour la créativité des individus. Ainsi, un mouvement né au Canada a vu les fans de Star Trek maquiller les billets de banque à l’effigie de M.Spock tandis que La Banque du Canada, en essayant d’enrayer le phénomène, n’a fait que l’amplifier. L’inventivité des consommateurs crée ainsi une valeur immatérielle pour une marque – parfois au détriment d’une autre. Certaines marques essayent de se réapproprier les efforts créatifs des consommateurs, par exemple Dior et son sac «J’ADIOR». Mais les témoignages d’un ancrage ludique des marques dans la culture, comme dans le cas des « surfaçons » – mieux que des contrefaçons !,  sont plus fins et plus difficiles à maîtriser pour les marques que le marketing traditionnel : « Ce n’est pas les 4P ! » s’amuse Bernard Cova.

Enfin, certains consommateurs se portent volontaires pour relancer ou promouvoir leur marque favorite. Par exemple, trois amis ont mené campagne, à grand renfort de panneaux publicitaires et de posts sur les médias sociaux, pour demander à Coca-Cola de relancer la marque Surge. Après un essai sur Amazon où trois mois de stock prévisionnel ont été vendus en deux jours, Surge est de nouveau disponible sur le territoire américain. Ces «volontaires de marques », comme ceux qui font essayer leur véhicule Dacia ou Honda (voir l’opération #Hondanextdoor), travaillent gratuitement pour les marques afin de satisfaire un besoin existentiel. Mais cela ne va pas sans soulever des questions juridiques ou éthiques. Bernard Cova évoque d’ailleurs les travers de la socialisation des marques, comme par exemple l’exploitation de « gisements d’authenticité » que fait Carrefour en reprenant à son compte le mouvement des semences paysannes. Il avertit aussi du risque de la perte de connaissances « non brandées ». Pour lui, c’est principalement l’instabilité dans le monde du travail qui produit des changements dans le monde la consommation.

Si les marques peuvent générer de l’engagement ou du jeu par l’intérimaire du volontariat ou des communautés, il leur faut sans doute mieux comprendre et assumer ce rôle. En occupant bon gré mal gré une place grandissante dans notre société, les marques ne doivent-elles pas assumer une forme de responsabilité sociétale ?

* Bernard Cova est professeur à Kedge Business School et auteur de « La vie sociale des marques », Ems, 2017. Géraldine Michel est professeur à l’IAE de Paris, directrice de la Chaire Marques & Valeurs et auteure de «Au cœur de la marque », Dunod, 2017. Valérie Zeitoun est maître de conférences à l’IAE de Paris

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Quels leviers pour légitimer la responsabilité sociétale des marques ?

On connait l’importance croissante du thème de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) , mais peut-on parler d’une responsabilité sociétale des marques (RSM) ? En tant que lien entre les entreprises et les consommateurs, la marque semble pouvoir endosser un tel rôle.

Camille Cornudet, doctorante à la Chaire Marques & Valeurs de l’IAE de Paris, a présenté les premiers résultats de ses recherches sur la RSM lors d’un séminaire de recherche Prism/Gregor.

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Visuel « H&M Conscious Collection » (source: goodhousekeeping.com)

La responsabilité est jugée à l’aune de règles juridiques, mais surtout à l’aune du marché. La marque a une légitimité à se poser entre ces deux pôles. De plus, elle peut y trouver l’occasion de répondre à de nouvelles attentes des consommateurs (ex. préoccupation écologiques).

Malgré cela, le concept de responsabilité sociétale de la marque reste à l’heure actuelle assez flou. Les recherches précédentes ont identifié trois effets des actions de responsabilité sociétale : sur l’attitude et comportement des consommateurs, sur leur confiance et leur fidélité, et sur la performance de la marque. La responsabilité sociétale a donc potentiellement un effet positif pour les consommateurs et pour les marques.

Cependant, comme Camille Cornudet le précise, « ce n’est pas parce qu’on le déclare qu’on est perçu comme socialement responsable par les consommateurs ». Comment la marque peut donc être perçue comme légitime en termes de responsabilité sociétale ? Selon de précédents travaux, il existe quatre leviers pour favoriser la légitimé  : les croyances, la personnalité, les pratiques et la structure de l’organisation. Cela peut conduire à trois types de légitimité : pragmatique, morale ou cognitive (Schuman 1995).

Ainsi, Camille Cornudet pose trois questions de recherche : à quels leviers les marques peuvent-elles faire appel pour être perçues comme responsables, quel type de légitimité adopter et quelle influence cela va créer ?

La première étude qu’elle a menée vise à étudier les différents leviers possibles, en se basant sur une étude documentaire concernant des marques BtoC et sur une série d’entretiens avec des praticiens. Les premiers résultats permettent d’identifier trois pratiques comme leviers de légitimité : les pratiques commerciales (ex. : filière responsable, commerce équitable), les produits (ex : labellisation) et la philanthropie (ex.: mécénat). De plus, les résultats montrent que la légitimité se construit sur les valeurs et l’idéologie, ainsi que sur la personnalité de la marque. En conclusion, l’être et le faire sont des leviers de légitimité de la responsabilité sociétale de la marque.

 

Comment rendre la marque plus humaine avec la conversation ?

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« Et vous qu’en pensez-vous ? Donnez votre avis en postant un commentaire ou cliquez sur J’aime  ! » Les marques nous incitent à participer, mais seule une minorité d’entre nous commentent leurs posts ou s’adressent à elles sur les médias sociaux. Pourquoi dépenser tant d’énergie et d’argent à essayer de créer de l’engagement si cela ne concerne que peu de personnes ?

Les marketeurs le font parce que les interactions améliorent la relation client, surtout si la marque nous parait plus proche, plus humaine. Ils le font aussi parce que ces interactions sont visibles de nous tous. Mais ont-elles toujours un effet positif ?

L’objectif de ma recherche et de déterminer comment les interactions verbales entre marques et consommateurs, que j’appelle conversation de marque, ont un impact sur ceux qui y participent mais aussi sur ceux, plus nombreux, qui ne font que les observer. Pour cela, j’ai collecté plus de 5000 commentaires sur internet, retranscrit 266 pages d’entretiens avec des consommateurs et réalisé trois études expérimentales réunissant 466 participants.

J’ai trouvé que la marque parait plus humaine quand elle respecte deux règles fondamentales de la communication interpersonnelle.

Premièrement, afin de répondre au besoin de liberté de nos interlocuteurs, il vaut mieux de ne rien leur demander. Les incitations, les « call to action », pourtant si fréquents en marketing digital, risquent de déshumaniser la marque. « Et vous qu’en pensez-vous ? ». C’est agaçant non ?

Deuxièmement, pour assouvir le besoin de reconnaissance de nos interlocuteurs, on peut les valoriser, leur adresser des compliments. « Merci pour cet excellent commentaire »… Mais il ne faut pas aller trop loin dans ce registre : les consommateurs qui sont très attachés à la marque n’apprécient pas de la voir valoriser les autres internautes, parce qu’ils développent une forme de jalousie.

En marketing, on dit souvent qu’il faut une communication cohérente entre les canaux, une sorte de voix unique. Ma recherche montre que dans la communication interactive, il faut s’adapter au contexte. Je recommande ainsi aux community managers de segmenter les espaces conversationnels en fonction des objectifs et des cibles visées.

Les stratégies d’interactions des marques ont bien un impact sur nos perceptions. Pourquoi ? Parce que, en tant qu’être humain, nous sommes sensibles à la façon dont nos pairs sont traités par les autres, y compris quand cet autre est une marque.

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Ce texte correspond au « pitch » de ma thèse lors de la finale du Prix de la meilleure thèse doctorale en marketing digital, organisé dans le cadre du Workshop Research and Business Digital Marketing, le 5 avril 2018 à Audencia (Nantes).

Manager les marques à l’ère du digital… avec la conversation

au-coeur-de-la-marque-conversation-andriuzziPour la 3ème édition de son ouvrage de référence «Au cœur de la marque» Géraldine Michel, professeur à l’IAE de Paris et directrice de la Chaire Marques & Valeurs, a mis l’accent sur la gestion des marques à l’ère du digital. Dans le chapitre plus particulièrement consacré à ce sujet, j’ai eu le plaisir de contribuer à un encart sur la conversation de marque, reproduit ici l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.
Bien entendu, je vous recommande de consulter plus en détail l’ensemble de l’ouvrage. Géraldine Michel y présente les outils essentiels du management de la marque de façon claire et illustrée de nombreux exemples récents.

 

« Les conversations entre marques et internautes sur les médias sociaux portent souvent sur les produits et services des marques, mais peuvent aussi concerner des sujets qui en sont plus éloignés. La conversation des marques doit-elle être la même quel que soit le sujet de conversation ?

Selon la théorie du face-work, lorsque le sujet est éloigné du produit, la marque doit éviter d’inciter les internautes à participer à la conversation pour paraitre plus humaine. Par exemple, lorsque Peugeot traite du sujet du co-voiturage sur les médias sociaux, il est préférable de laisser l’internaute libre de répondre sans utiliser de call to action . En revanche, l’incitation n’a pas d’effet particulier quand le sujet est proche du produit. Quant à la valorisation de l’internaute, elle est surtout utile auprès des internautes peu attachés à la marque qui se sentent flattés par ce type d’échange. Par exemple Carte Noire, qui engage des conversations sur ses produits ou des recettes de cuisine, a intérêt à valoriser les non-clients, plus sensibles à cette flatterie, que les clients de la marque »

in Géraldine Michel (2017). Au coeur de la marque, 3ème édition : Les clés du management des marques. Paris, Dunod. (p 202, chapitre 8 : « Manager les marques à l’ère du digital » )

Soutenance de thèse sur la conversation de marque

J’ai eu la joie de soutenir ma thèse de doctorat en sciences de gestion « La conversation de marque à la lumière de la théorie du face-work. Impact de la stratégie d’interaction des marques sur l’attitude des internautes », le 29 mai 2017 à l’IAE de Paris.

Soutenance de thèse à l’IAE de Paris, 29 mai 2017. Photo Edith Lebon .

J’ai réalisé ce travail sous la direction de Géraldine Michel, professeur à l’IAE de Paris et directrice de la Chaire Marques & Valeurs. Le jury était composé des professeurs Ouidade Sabri (IAE de Paris), Kristine de Valck (HEC Paris), Jean-François Lemoine (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Sophie Rieunier (Université Paris-Est Marne-la-Vallée) et Andreas Kaplan (ESCP Europe), de gauche à droite sur la photo. Cette recherche a bénéficié du soutien de l’agence Entrecom.

Résumé  :

Les interactions entre marques et consommateurs font l’objet de nombreuses recherches, notamment depuis l’avènement des médias sociaux. Cette recherche porte sur un mode d’interaction peu étudié, la conversation de marque, définie comme une suite de messages échangés en ligne et en public entre plusieurs individus dont un au moins représente une marque. Pour étudier ce phénomène, nous réalisons deux études qualitatives et trois études quantitatives. En faisant appel à la théorie du face-work, nous montrons que la marque parait plus humaine quand elle respecte les règles de la communication interpersonnelle. Cependant, ces règles sont altérées quand la conversation porte sur les produits et quand les consommateurs sont attachés à la marque. Cette recherche contribue à la littérature sur les interactions marques-consommateurs et à la littérature sur l’anthropomorphisme en montrant l’impact des pratiques conversationnelles des marques sur l’attitude des consommateurs.

Abstract :

Brand-consumers interaction is an emerging topic in marketing research especially since the advent of social media. This research focuses on a little-studied type of interaction, brand conversation. Brand conversation is defined as a series of messages exchanged online and in public between several individuals, at least one of them being a brand representative. To study this phenomenon, we carry out two qualitative studies and three quantitative studies. Using face-work theory, we show that brands seem to be more human by following interpersonal communication rules. However, these rules are slightly altered in a marketing context, especially when the conversation is about products and when consumers are attached to the brand. This research contributes to the literature on brand-consumer interaction and to the literature on brand anthropomorphism by showing the impact of brand conversational practices on consumer attitudes.

Voir la référence sur le site du laboratoire de recherche Gregor / IAE de Paris

Les chatbots au secours de la publicité en ligne

Bien que le marché de la publicité en ligne continue de se développer, une étude alerte les annonceurs sur la montée en puissance des adblockers. Parmi les solutions proposées : le commerce conversationnel. Mais les internautes ont-ils réellement envie de discuter pour acheter ? Moins intrusifs et plus efficaces que les humains, les chatbots pourraient constituer des compagnons efficaces au display.

Aujourd’hui, les logiciels limitant l’affichage des publicités en ligne, ou adblockers, touchent 17 % des visites en France [1]. Les plus jeunes internautes utilisent massivement ces services, jugeant la publicité trop intrusive. Cette situation pourrait devenir problématique pour les annonceurs, qui continuent à investir massivement dans la publicité en ligne : le secteur a vu son chiffre d’affaires augmenter de 3,1% en 2015 et talonne celui de la télévision [2].

Deux remèdes émergent dans le discours des professionnels : le brand content et la conversation

Le brand content est supposé susciter l’intérêt des consommateurs et permettre de véhiculer les valeurs des marques de façon moins intrusive que ne le fait la publicité traditionnelle. Son succès auprès des marketeurs est attesté par sa place croissante dans les budgets : les dépenses liées au brand content pourraient doubler d’ici quatre ans, pour atteindre 2,1 md en 2020 en Europe. Quant au native advertising, il pourrait devenir le “format dominant” [3].

Face à la méfiance des internautes vis à vis de la publicité, une autre solution proposée consiste à réorienter les stratégies publicitaires vers une “logique conversationnelle”. En effet, cette démarche se veut moins intrusive et plus adaptée aux attentes des internautes que les formats displays [4]. Mais de quelle conversation parle-t-on ? Lors de la 15ème Journée de recherche sur le marketing digital, le professeur Olivier Badot a qualifié de “hashtag commerce” le flux d’offres promotionnelles interactives diffusées sur smartphones par les marques. Ciblant les consommateurs selon leur activité et leur localisation, ces pratiques sont particulièrement développées en Chine. En France, des dispositifs conversationnels voient le jour en accompagnement de publicités, par exemple lors de la Foire du Vin de Carrefour où un format display attirait l’internaute vers une fenêtre de chat pour échanger avec un expert.

illustration_chatbot1Publicité Carrefour en display sur le site Be.com, consultée le 03/10/2016 

Des robots préférés aux humains

Mais a-t-on toujours envie de parler avec un vendeur ? C’est là que le bât blesse. La défiance des consommateurs envers les marques ne milite en fait pas toujours pour le développement de la conversation humaine. Par exemple, une recherche a montré que la personnification ne fait que renforcer le sentiment négatif des consommateurs déjà méfiants envers les marques [5]. De plus, une présence humaine tend à intimider les consommateurs, notamment les plus jeunes. Ces derniers préfèrent échanger avec un agent virtuel qui leur procure un plus grand sentiment de contrôle [6]. En fait, l’être humain en interaction est intrusif par nature : engager la conversation avec quelqu’un fait que l’on empiète inévitablement sur son territoire [7]. Ainsi, si l’association de dispositifs conversationnels à des publicités se développe, la question de l’utilisation d’un être humain ou d’un programme informatique peut se poser.

Des robots plus efficaces que les humains

Moins intrusifs, les robots pourraient être aussi plus efficaces. Selon Le Parisien, 90% des demandes clients peuvent être traitées par des agents conversationnels virtuels, ou chatbots [4]. De plus, les renseignements donnés par les humains ne sont pas toujours les meilleurs. Par exemple, moins d’un appel sur cinq à la Caisse d’allocation familiales reçoit une information précise et plus d’un tiers des internautes appelant Pôle Emploi sont renvoyés vers le site internet. Pour peu que l’on ait un accent étranger, on serait encore moins bien loti, selon une étude du Défenseur des droits et de l’Institut national de la consommation [8]. Mais la présence d’humains pourrait surtout limiter une utilisation à grande échelle des dispositifs publicitaires conversationnels.

Vers des chatbots publicitaires

Jusqu’à présent, les agents conversationnels étaient disponibles essentiellement sur des sites marchands. Cette pratique, devenue un temps désuète avec l’avènement des médias sociaux, semble connaître un regain d’intérêt en bénéficiant du développement de l’intelligence artificielle et des effets de l’expérience. Par exemple, la SNCF vient de débaptiser son agent virtuel Léa pour lui préférer une fenêtre de chat anonyme. Aujourd’hui, la présence de tels agents se développe également au sein des messageries instantanées comme l’application Messenger de Facebook ou des DM (Direct Messages) de Twitter.

illustration_chatbot2
Représentation de l’agent virtuel de voyages-sncf.com (avant et après 2016?) [visuel de gauche : crédit noven.fr, accès le 28/09/2016. visuel de droite crédit voyages.sncf.com, accès le 26/12/2016]

Les entreprises ont intégré depuis plusieurs années un traitement automatisé de la relation client. Mais les chatbots sont maintenant appelés à voyager au-delà de leurs sites web et des applications. Imaginons un “lâcher de robots” à grand échelle, comme par exemple l’association d’une fenêtre de chat à une bannière ou à une annonce Adwords. Que se passe-il quand chaque personne touchée par une publicité en ligne est invitée à échanger avec un chatbot ? Est-ce intrusif et mal perçu ? Ou au contraire, cela peut-il créer un effet de surprise aux conséquences positives [9] ?  Ces questions restent encore à explorer mais l’irruption des chatbots dans le domaine du marketing et de la publicité continue à apporter son lot de surprises.

En résumé, à mi-chemin entre un“vieux” modèle publicitaire intrusif et un “nouveau” modèle interactif, nous voyons se développer un modèle hybride alliant puissance du display, proximité de la conversation et efficacité des robots. Si vous avez des exemples de tels dispositifs, ou des remarques, je serais heureux de les connaître.

Références 

[1] Dumoulin, S. (2016) Les “adblockers” privent les marques de leurs meilleurs prospects, Les Echos, 27 septembre
[2] Richebois, V. (2016) Le marché publicitaire renoue avec la croissance, Les Echos, 27 septembre
[3] Alcaraz, M., Madelaine, N., et Richebois, V. (2016) Pourquoi le “brand content” explose dans les médias, Les Echos, 22 septembre, p.24
[4] Renou, A. (2016) Les robots vous parlent, Le Parisien, 27 septembre
[5] Eskine, K. J. & Locander, W. H. (2014). A name you can trust? Personification effects are influenced by beliefs about company values, Psychology & Marketing, 31(1), 48-53.
[6] Clarkson, 2010 et Graeber & Dolan, 2007, cités par Köhler et al. 2011 :
Köhler, C. F., Rohm, A. J., de Ruyter, K. & Wetzels, M. (2011). Return on interactivity: The impact of online agents on newcomer adjustment, Journal of Marketing, 75(2), 93-108.
[7] Goffman, E. (1973) Les Relations en public. La Mise en scène de la vie quotidienne 2, Traduit de l’anglais par Alain Kihm, Collection Le sens commun, Les Editions de Minuit, Paris.
[8] Plichon, O. (2016) A l’autre bout du fil, les humain ne font pas beaucoup mieux, Le Parisien, 27 septembre
[9] Schamari, J., & Schaefers, T. (2015). Leaving the Home Turf: How Brands Can Use Webcare on Consumer-generated Platforms to Increase Positive Consumer Engagement, Journal of Interactive Marketing, 30, 20–33

Manager la marque autrement

Retour sur le séminaire de la Chaire Marques & Valeurs

Mes notes prises lors du séminaire international de la Chaire Marques & Valeur (de 2014 !) étaient restées dans un tiroir… Je les ressors aujourd’hui, les thèmes évoqués étant plus que jamais d’actualité. Les chercheurs de la Chaire ont présenté les principales idées du livre Le Management transversal de la marque, avant de dévoiler leurs premiers travaux sur le thème de la convivialité.

La marque au-delà du marketing

livre

Pour Géraldine Michel, la marque ne peut être cantonnée au service marketing mais doit être aussi l’affaire des autres fonctions de l’entreprise comme les ressources humaines, la finance et le droit.

Du point de vue des ressources humaines, il est important de faire comprendre les valeurs de la marque aux salariés car ce sont eux qui portent la marque. Comme le montre Fabienne Berger-Remy dans ses travaux, la marque donne du sens en interne : elle offre  aux collaborateurs une direction et des sensations. Par exemple, Toyota a développé une bonne compréhension des valeurs de la marque irriguant toute l’organisation.

Avec un rôle proche de celui de parents, les financiers ont un rôle important vis-à-vis des marques. Un paradoxe peu connu fait qu’une marque créée en interne ne peut être valorisée au bilan de l’entreprise, alors qu’une marque achetée peut l’être. Les financiers regardent alors la marque de très près ! Par ailleurs, les juristes ont un rôle de protection important. Ebay a par exemple été sommé par Louis Vuitton de garantir que les produits vendus sur son site étaient bien authentiques.

D’un point de vue stratégique, la marque est un guide pour l’action, précise Marie-Eve Laporte. Par exemple, chez Président, on considère que le chef de produit est le PDG de l’entreprise. Une bonne intégration de la marque facilite la gestation et le déploiement d’innovations. Repeto est un bon exemple de cette intégration, des hôtesses d’accueil jusqu’aux designers. La marque doit rencontrer ses consommateurs, complète Margaret Josion-Portail, et pour cela développer des relations fortes et sincères avec eux.

Une connaissance partagée dans toute l’entreprise des valeurs de la marque est primordiale – et encore mieux, une adhésion à ses valeurs. Ce phénomène se manifeste de façon visible chez les employés de Lacoste : chacun a un petit crocodile posé sur son bureau !

Manager la marque par les valeurs : l’exemple de la convivialité

Quand Géraldine Michel lui a parlé de « Conviviality », Sevgin Eroglu a d’abord été surprise car le terme est peu utilisé dans les pays anglo-saxons. « It’s « Queen English » », plaisanta Leslie de Chernatony pendant la conférence. Relatant les propos d’un manager, Sevgin Eroglu a rappelé le considérable avantage concurrentiel qu’ont les magasins traditionnels sur les distributeurs en ligne : ils ont un magasin, eux ! Les consommateurs visitent volontiers les lieux de vente à condition que l’expérience soit plaisante et qu’ils n’y perdent pas leur liberté. Le concept de convivialité, déployé par les distributeurs, permettrait alors de répondre aux attentes des consommateurs.

La convivialité a des applications dans le tourisme, les logiciels et sites web ou encore l’urbanisme. D’un point de vue marketing, comment le concept de convivialité est-il perçu par les consommateurs ? Certains endroits sont jugés conviviaux : les bars, les marchés et les coiffeurs par exemple. A l’inverse, les supermarchés et les stations services ne sont pas conviviaux car ces endroits limitent la liberté des individus. En effet, pour les deux chercheurs, une des dimensions essentielles de la convivialité réside dans les « uncommited interactions » : on peut avoir des discussions simples, légères. Les vendeurs portent une« attention bénévole » aux clients et leur laissent une grande liberté.

Pour les managers, la convivialité est une valeur dont la mise en œuvre a des effets sur les capacités d’innovation des marques. Elle est une source d’interaction favorisant une démarche de cocréation. Ce concept permet de revisiter les relations entre marques et consommateurs. Les interactions sont légères, éphémères, ouvertes. Un bon exemple : un café a créé une « carte d’infidélité » : le traditionnel Xème produit gratuit est offert à condition que le client ait été dans huit autres cafés entretemps !

 

Vous pouvez retrouver les vidéos du séminaire sur le site de la Chaire Marques & Valeurs.

How To Rock Higher Ed Branding with Social Media and Viral Marketing

For his new case study ‘Social Media and Viral Marketing at ESCP Europe, The World´s First Business School (est.1819)’ , Professor Andreas Kaplan (disclosure: also my boss at the time!) asked me for an interview, alongside other colleagues. It was a good opportunity to think about what my job actually was :). You can find much more information on running social media and viral marketing in Higher Education and in business schools by reading the whole case study. Being a lecturer in marketing from time to time, I also think that it would be a fresh and original case to teach.

Here is my interview, thanks to the kind authorisation of Prof. Kaplan.

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Interview with Andria Andriuzzi, Digital Manager Europe

A recent viral marketing campaign at ESCP Europe:  ‘The European Lift’, a short film coproduced with La Netscouade and Cut Cut Prod.
 

· When you joined ESCP Europe, what was your first impression of its social media strategy?

The social media strategy was quite different from the one I defined in my previous job, especially because many people here are posting in various languages, on many accounts. What I experienced before was a single social media manager posting mostly in one language, on a few corporate accounts. At ESCP Europe, there are corporate accounts, but also local campus accounts and programme accounts, yet it is important to coordinate all these activities, and make the social media presence consistent.

· What were changes you undertook with respect to ESCP Europe’s presence on social media?

The main frame was already in place. I, however, added a few things and brought the defined strategy further into reality. One was to define more precisely the targets and goals of each channel. I also worked a bit on the editorial guidelines: what topics should be discussed, where, and on which format. I also encouraged more people to post, for example on LinkedIn, where now five people can post. Basically I made an emphasis on two aspects, content and conversation. The content should be adapted to each and every account, and be interesting, for example useful or entertaining, to people who follow us. It also should be shareable, in order to drive word of mouth. The conversation part means that everybody posting on social media should try to actively interact with people: ask their opinion, answer questions or provide additional resources. The “conversational” strategy also applies by developing a proactive social media presence built on our live events (live tweets, reports on Storify, etc.). The next thing we want to improve is the analytics part.

· How would you describe your role at ESCP Europe? What attributes does a good community manager need?

As a digital manager, a large part of my role is to address, train and advise people. As many people post on ESCP Europe, it is important to still have a common voice and a similar approach of the way we run social media. As for community management, I think you first need to love interacting with people. Be humble; listen to them and their conversations. Also, a good understanding of basic marketing principles is key. The good old « satisfy consumers’ needs » is very relevant on social media. They don’t want to read any blunt advertising messages but things that are interesting to them in a language they understand and they relate to. We have to please our fans or followers with every piece of content we post, otherwise… they will unfollow and leave us! Community managers also must be results orientated: If some posts don’t work, it should be insightful for the next ones. We must make sure that what we do on social media is efficient and in-line with the global branding, communications, and marketing strategy.

· Are there any advantages and/ or disadvantages in having to coordinate several different social media across the 5 campuses and the various programmes in comparison to a completely centralised approach?

Running many accounts allows us to be more accurate to many different targets. For example we can choose to address potential candidates on one channel and to speak with the current students on another one. It also allows us to express different aspects of the brand, by emphasizing one or another across the channels. The other aspect of our strategy, i.e. many people are posting – sometimes on the same account – allows us to provide consistent flows of content and information. The strategy seems adapted, especially because we operate in several countries. For example, it would be difficult to reach and engage Italian targets with a centralized account from Paris tweeting only in English and not having personal connections in Italy. Above all, social media management is social; it is about knowing the kind of people you talk to and being able to interact with them in a more or less informal way.

· How do you know if everybody sticks to the guidelines and respects the specific objectives given to each social media application?

I look regularly on each account but of course it is impossible to control everything – and eventually not a good idea. Obviously our guidelines are not always followed thoroughly but it is mostly due to people forgetting them and not because of bad intentions. I meet the people who run the accounts on a regular basis and talk to them often. Therefore there are many occasions to repeat guidelines, explain more deeply specific tools and to share best practices. I also write an annual plan with some objectives for everyone who uses social media at the school. Sometimes you also have to be strict, e.g. blatant advertising messages are strictly forbidden! Of course we sometimes use paid advertising on social media, but that is another story.

· What, according to you, are success factors of social media usage within a business school environment?

First you need to carefully choose to whom you give social media responsibilities to. Even if social media can affect every area within an organization, I believe social media is not for everybody. Of course not saying social media people are better people, but having online and public conversations requires some specific mindset and abilities such as being humble, a good listener, and not being egocentric. To be successful, social media management should be done strategically; it should not be done because everybody does it. Social media should serve the global strategy. Also instead of planning everything in advance and trying to control everything, one needs to follow a bit of a trial-and-error approach with testing new things on different social media applications. This makes our presences more human and less formal, less a « professional sales pitch ».

· How about if you get negative comments on some social media post by students and/ or alumni? How do you deal with this?

We recently had a problem with a video on one of our programmes. After we posted the video on Facebook, we received a couple of negative comments from some alumni. Not a lot, yet very detailed ones. One of the common critics was the lack of consistency of the students’ testimonials and a general storytelling approach. In this case, we thought there was a misunderstanding of what the video was about. As the students were interviewed during their very first day at ESCP Europe, they couldn’t go into depth on what the school was and what the programme specifically stands for. As a result of the critique, we simply decided to change the name of the video on YouTube, making it clearer that it was students’ « first impressions » rather than the whole « student experience » one can have during the scope of the programme. After explaining this change and answering the negative comments on Facebook, the discussion stopped and some alumni and students acknowledged us for this change. The lesson from this is: read the comments, try to understand why they are negative, and answer by giving considerations to this feedback. But it is not always possible to change something – and often not a good idea. We must be consistent with the general strategy and can’t be driven by a few complaints, as this doesn’t necessarily represent the majority. Nevertheless we are always listening to our followers and respond to all comments and questions on our various applications in a respectful manner. We never censor any negative comments directed at the school on any of our social media. After all, our students and alumni only want the very best for their school! However, in some cases comments need to be deleted (e.g.: insults targeted to other students or faculty) or not be taken that seriously (e.g.: trolls).

· Can you talk more precisely about your activities on the four main social media applications, i.e. Facebook, Twitter, YouTube, and LinkedIn?

On Facebook we run three different kinds of accounts: 1. The ESCP Europe corporate account, where we talk with the large community, i.e. students, alumni, professors. Yet the posts should interest other targets, especially candidates. 2. Local pages, for the campuses’ current students; 3. Programmes’ pages for potential candidates. The Twitter account is for the general public. The idea is that everybody interested in business and management topics could follow, as they could find interesting or useful tweets. We also run an account for live tweets during our events. The YouTube page is more like a catalogue of videos. Some of them are professors’ expertise while others are more promotional. Then we share the videos on other social media platforms, depending on their subject and targets. LinkedIn targets executive education prospects. We also heavily used their recommendations on the product and service pages, i.e. we encouraged alumni, students and participants in the executive education trainings to recommend their respective programmes. However, when LinkedIn temporarily abandoned this function it was an indication that using third players’ on social media always poses a certain risk…

· What is the link between the school’s website and its various social media presences?

On the one hand, we share some website content on social media, e.g. news and events. One of the goals of social media is also to drive traffic to the website and improve SEO. On the other hand, we display social media content on the website, e.g. Twitter plug-ins or FlickR photo galleries. It helps to make the website more dynamic and lively.

· There are more and more rankings popping up classifying different business schools according to their social media activities. What is your opinion on them and what is the strategy?

The problem is that all these rankings mainly focus on the numbers of followers, likes, etc… Since it’s possible to buy fake fans and followers, or even to have a lot of real followers but no interaction, it seems to me these ranking don’t really reflect the efficiency of social media activities. For example, one can have 20,000 fans on Facebook, and at the same time post something reaching only 350 people, because of the Facebook EdgeRank limitation: Posts on Facebook which get few likes worsen the visibility of further Facebook updates on the liker’s newsfeeds as a result of this algorithm Facebook applies. This is a further reason why updates need to be interesting, engaging, and not plainly promotional. Also with respect to rankings, how can we compare tools, if they are used for very different goals? But in the meantime, we still have a look at these rankings… and students and candidates might do so too. However, we would never buy likes or followers – at ESCP Europe we prefer to stay honest with these things.

· What are your plans with ESCP Europe’s social media strategy and how do you see it within a five years time frame?

We still need to improve our actual framework and organization. I would like to make the different editorial lines more precise, and to foster our content strategy. I would like each of our social media accounts to look different one from the other, with even more specific content and operations, even if we are one brand, and therefore show overall consistency particularly on our European, cross-cultural positioning. On some of the presences we could be more active such as Google+ or Instagram. We need to be able to run better analytics, to make sure that what we do is really useful, and to provide us with information, which allows us to do better in the future. Also I think social media will affect other parts of the school, for example admissions. Another idea is to involve more the students, staff, and professor in the production of content and in online interactions. I think we definitely need to rethink our mobile presence. It is difficult to predict what social media will be available in five years, as everything changes very fast in this area, but if we continue to focus on the quality of the content as well as on interactions with our followers, we will be able to adapt to new tools and trends very quickly.

 

Excerpt from:

Kaplan A. M. (2014) Social Media and Viral Marketing at ESCP Europe, the World »s First Business School (est. 1819), European Case Clearing House, 514-058-1, 30 p.

« Entretien avec un robot » : la conversation de marque entre personnalisation et industrialisation

Francetv Info a mené une opération sur Twitter à l’occasion des dernières élections municipales, en tweetant les résultats aux internautes qui en avaient fait la demande. C’est l’occasion de se pencher sur l’industrialisation des pratiques conversationnelles des marques.

Metropolis, 1926. Source: maieutapedia.org

Metropolis, 1926. Source: maieutapedia.org

Après avoir dénoncé les travers de la conversation automatisée dans un précédent post, une opération menée récemment par Francetv Info me laisse aujourd’hui penser que, bien exécutée, cette technique peut présenter un intérêt pour les marques.
Au soir du deuxième tour des élections municipales, une bannière a attiré mon attention sur Twitter : @francetvinfo annonçait son opération #MonRésultat. Les internautes étaient invités à envoyer un tweet avec le hashtag #MonRésultat et leur code postal. Ils recevaient ensuite un tweet de réponse avec les résultats de leur commune ainsi qu’un lien vers le détail du scrutin – permettant au passage de générer du trafic vers le site de Francetv Info. Les internautes n’ont pas manqué de retweeter largement les résultats reçus, générant ainsi un important bouche à oreille autour l’opération. Détaillons quelques éléments de cette opération, afin de voir quels enseignements les marquent pourraient en tirer.

Un contrat de conversation bien défini

Bien qu’il ait été incité à le faire au moyen d’une publicité, c’est l’internaute qui engage la conversation avec la marque. Il attend clairement une réponse. Ainsi, automatisation ne signifie pas forcément spam. Depuis Permission Marketing, on sait que les messages adressés aux internautes qui en ont donné leur accord présentent de nombreux avantages par rapports aux envois de messages non sollicités. Si l’ouvrage de Seth Godin était essentiellement consacré à l’email marketing, il reste plus que jamais pertinent à l’heure des médias sociaux. A l’image des contrats de lecture tacites entre un lecteur et un magazine, un contrat de conversation gagne à être signifié auprès des internautes avant que ceux-ci ne soient en situation d’échanger avec la marque. Ici, les choses sont claires : vous envoyer un tweet et vous aurez un tweet en retour avec les informations que vous avez demandées.

Une réponse automatisée, mais personnalisée

La réponse envoyée par Francetv Info est bien sûr automatique. C’est un robot qui traite le message entrant, extrait l’information souhaitée d’une base de donnée et renvoie un tweet. Mais dans ce cas précis, quoi de mieux qu’un bot ? D’une part, la quantité de messages attendus et les impératifs du temps réel ne permettaient pas d’intervention humaine, d’autre part celle-ci n’aurait finalement pas grande valeur ajoutée par rapport à un message automatisé. Les tweets envoyés présentaient en effet un haut degré de personnalisation, dans leur forme comme dans leur contenu : un message individuel adressé directement à l’internaute, contenant une information de  forte valeur et personnalisée.

En l’absence de résultats connus, on ne peut pas vraiment dire si l’opération a été un succès. Mais en observant quelques réactions d’internautes sur Twitter, on peut penser qu’elle a été bien perçue. Pourtant, en raison du caractère entièrement automatisé de l’opération, la marque perd vraisemblablement l’occasion de nouer des relations plus fortes avec ses interlocuteurs. En effet, certains d’entre eux répondaient aux tweets de résultats, d’autres demandaient une assistance car ils ne recevaient pas les leurs (souvent à cause d’un mauvais formatage de leur demande). Malheureusement, une intervention humaine ne semble pas avoir été prévue dans ce dispositif. L’automatisation montrait aussi parfois ses limites : en cas de retweet des résultats avec les mêmes code postal et hashtag, le bot renvoyait inévitablement un tweet similaire au précédent, « croyant » à une nouvelle demande d’internaute.

Ainsi, si la conversation peut avantageusement être amorcée de façon automatisée, les marques qui souhaitent mettre en place ce genre d’opération pourraient prévoir une cellule de community management afin de prolonger les échanges avec ceux qui le souhaitent. En augmentant le nombre de « tours de parole » et en augmentant la durée de la conversation, les marques peuvent en améliorer la qualité. Dans un article présenté au Social Média Club, j’ai en effet suggéré qu’il était important pour les marques de tenter d’augmenter la qualité des conversations auxquelles elles participent, car cela permet notamment de générer plus de bouche à oreille.

Pourtant, avec un contrat de conversation clair, un message personnalisé, une information à forte valeur perçue, le tout soutenu par une forte campagne publicitaire, l’opération #MonRésultat peut sans doute inspirer d’autres marques.  En nouant une conversation avec un grand nombre d’internautes, la marque peut créer du lien, augmenter sa notoriété et gagner en légitimité – ici, pour Francetv Info, sur le terrain de l’information en temps réel.  Une question se pose cependant : face à un grand nombre de sollicitations sur les médias sociaux, l’automatisation de la conversation est-elle vraiment une option, ou plutôt une nécessité ?

Vers une inéluctable industrialisation des conversations

Dans une interview que j’ai réalisée il y a quelques années dans le cadre d’un travail de recherche, Julien Villeret, Directeur de la communication de SFR, précisait que, si les médias sociaux permettent bien d’humaniser la relation avec les consommateurs, il était probable que cette situation ne puisse pas perdurer, en tout cas pour les grandes marques.

 « Si un jour [les médias sociaux] sont utilisés par tout le monde, (…) on ne saura plus le faire de façon personnalisée, même s’ils permettent aujourd’hui de renouer cette relation personnalisée. A mon avis, le jour où les générations actuelles (…) vieilliront, on va se retrouver avec de plus en plus de volume à traiter sur ces médias sociaux et de fait, on va revenir vers un modèle industrialisé et donc déshumanisé. (…) A partir du moment où vous devez traiter du volume, vous ne pouvez plus être sur la personnalisation, sur du one to one. Alors évidemment vous faites tout pour que ce soit le plus propre possible, le mieux fait possible. Mais c’est humain, c’est mécanique. Le jour ou vous devrez répondre à 200.000 ou 300.000 tweets par jour, mécaniquement je ne pourrai plus avoir une ou deux personnes qui le font. Il faudra avoir une armée de 600 personnes qui, toute la journée, balancent des réponses standards sur Twitter. »

Les marques qui développent des techniques de conversation automatisées ou semi-automatisées pourraient bien prendre de l’avance, des points de vue technique et organisationnel, par rapport à celles qui en seraient encore à créer quelques postes de Community managers.

Pour faire face à ces volumes de plus en plus importants – qu’ils soient subis, par exemple en cas de problème technique sur un produit, ou qu’ils soient provoqués, comme dans l’opération #MonRésultat – trois pistes peuvent être envisagées :

–   L’option évoquée dans l’interview : des bataillons de Community managers, à l’image des call-centers des services clients traditionnels ;

–   Une refonte organisationnelle de la gestion des conversations. Certains entreprises font en effet le choix de segmenter leurs espaces conversationnels, et permettent à un grand nombre de salariés d’échanger publiquement avec les internautes sur les médias sociaux, au lieu de centraliser les conversations sur quelques comptes corporates. En disséminant la parole de l’entreprise, celle-ci pourrait devenir plus fluide et permettrait de faire face à des volumes importants. Dell, souvent cité, est réputé avoir habilité plus de 3.000 salariés à échanger avec les consommateurs sur les médias sociaux ;

–   Un traitement automatisé ou semi-automatisé des conversations, comme dans l’opération de Francetv Info. Notons tout de même que quelques tentatives malencontreuses ont déjà été relevées, comme par exemple American Airlines ou Bank of America et leurs tweets standardisés à répétition.

Cette opération, présentée comme la première du genre en Europe, pourrait en inspirer d’autres, et son évocation permet de se poser quelques questions. Comment traiter un volume exponentiel d’interactions sur les médias sociaux ? La conversation automatisée peut-elle être une réponse ? Enfin, connaissez-vous d’autres marques qui ont déjà mené des opérations similaires ? Je serais ravi de lire vos contributions et commentaires.

Conversation de marque: est-ce bien nécessaire ?

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Une « conversation de marque » à la suite d’un post sponsorisé

Le thème de la conversation revient comme un mantra dans la sphère du marketing: il faut entrer en conversation, on n’est plus dans un monologue mais dans un dialogue, une relation d’égal à égal entre marques et consommateurs. Autant de poncifs qui ne résistent pas à l’analyse (*).

Si des interactions existent bel et bien entre marques et internautes, les objectifs de la conversation de marque sont rarement évoqués. J’ai demandé un jour à un responsable d’agence comment il mesurait l’efficacité de la conversation. Réponse :

« Tout le monde me demande le ROI de la conversation. Mais ça n’existe pas le ROI de la conversation ! « 

Ce à quoi on pourrait rétorquer :

« A quoi bon ? »

De mon point de vue, la conversation de marque est une technique marketing comme une autre, qui permet de répondre à certains objectifs, comme renforcer l’image de marque, développer la notoriété, améliorer l’expérience de consommation ou encore faire du crowdsourcing.

On parle ici d’une conversation de marque « réussie ». Mais que se passe t-il quand la conversation dérape ou simplement qu’elle est décevante ? Quel est l’impact sur la marque ?

Répondre à ces questions nécessiterait une étude plus approfondie. Je me limiterai ici à passer en revue 3 situations dans lesquelles il est difficile d’établir un dialogue « constructif » avec les internautes.

Souriez, vous êtes trollés !

Personnage bien connu des espaces participatifs en ligne, le troll commente les posts en détournant le sujet ou en répondant « de façon non appropriée  » du point de vue de la marque.

Cette situation peut intervenir quel que soit le message initial. Sur n’importe quel sujet, il y aura toujours un troll pour vous répondre !

  • Solution 1 : Ne pas répondre. Le commentaire a généralement peu de visibilité, y répondre ne lui donnera que plus d’écho;
  • Solution 2 : Passer vous aussi en mode troll : répondre à tout, avec une bonne dose d’humour, voire d’autodérision (**). Pas toujours simple à exécuter…

La « mauvaise » conversation

Quid des commentaires peu qualitatifs : orthographe, vocabulaire, arguments ? Les marketeurs ont souvent une haute opinion de leur marque et peuvent avoir du mal à répondre à des commentaires jugés médiocres.

  • Solution 1: Répondre l’air de rien. Vous n’êtes pas là pour corriger une dictée ;
  • Solution 2: Ne pas répondre si vous considérez que ce n’est pas au niveau de la ligne éditoriale de votre marque.

Le bâton pour se faire battre

Facebook ne cesse d’innover en matière publicitaire. On peut « pousser » un post au delà du cercle des abonnés à la page, simplement en lui allouant un budget. Mais gare aux conséquences : on gagne en visibilité ce que l’on perd en pertinence.

En effet, un message s’affiche au beau milieu des actualités des amis de tout un tas d’inconnus. Ces derniers n’ont jamais émis le moindre souhait de voir vos posts et encore moins de nouer une conversation avec votre marque. S’ils n’adhèrent pas au message, le feedback peut être violent.

Les commentaires-type de ces publicités sont :

« On s’en fout »

ou encore

« Dégage de mon mur ! »

Une conversation disions-nous ?

  • Solution : Utiliser les posts sponsorisés avec beaucoup de précautions.!

Si vous avez échappé aux trolls, que les commentaires sont de qualité et que vous échangez avec de « vrais » fans, une conversation peut effectivement s’établir.

Mais ces conditions sont rarement réunies, notamment sur Facebook. De même que la conversation des salons mondains du 18ème siècle comprenait un nombre réduit de participants cooptés, la conversation de marque pourrait bien ne s’épanouir que dans des espaces plus privatifs. Elle peut alors révéler ses vraies vertus, au lieu de donner lieu à un babillage stérile conditionné par la mode du tout-participatif.

 

Andria Andriuzzi

 

(*) Voir : Karine Berthelot-Guiet, Caroline De Montety, Maxime Drouet, Valérie Patrin-Leclère et al. (2011) : Dossier: « La communication revisitée par la conversation », Communication & Langages.

(**) Concept de « Defensive Trolling » développé par Alexandre Kane (2012) « Processus de fusion entre business schools : comment utiliser les réseaux sociaux pour réunir les communautés. Risques et opportunités », Conférence Réseaux Sociaux: Les tendances 2012, EducPros.