Petite histoire de la conversation… avant les médias sociaux !

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Dans le cadre d’un travail de recherche en marketing, je me suis intéressé à l’histoire de la conversation (*) comme « échange d’idées et de discours, codifié socialement, parfois considéré comme une pratique esthétique » (Littré).

 

La conversation est tout sauf un concept nouveau. Depuis Socrate, les hommes conversent pour échanger des idées tout en se divertissant.  Ces conversations athéniennes, rapportées par Platon, sont les premiers témoignages de cette activité sociale, ludique et collaborative.

 

Dans la lignée des conversations de Socrate, la conversation antique se tient lors de banquets entre hommes. Elle est alors de nature philosophique, inspirant par la suite la conversation savante qui suppose un registre grave et sérieux.

 

Aux 16ème et 17ème siècles, la conversation est élevée au rang d’art. Elle est le creuset de deux mondes aux intérêts concordants : la noblesse d’épée désœuvrée, qui cherche de nouveaux modes de divertissement, et les gens de lettres souhaitant trouver un terrain d’expression et d’expérimentation de leur art. Tenue principalement dans les salons des dames de la haute société, elle mêle indifféremment les représentants de ces deux groupes sociaux. La conversation est alors un pur divertissement, un exercice oral ludique où l’on n’est jugé que sur son talent, le plus saillant d’entre eux étant l’esprit.  Elle requiert un petit nombre de participants cooptés mais d’origines diverses, réunis dans une unité de temps et de lieu.
Le film « Ridicule » de Patrice Leconte (1996) est une évocation rafraichissante et bien documentée de cette période.

 

Pour Marc Fumaroli, la conversation est dès ses origines « une forme singulière de collaboration orale » entre « interlocuteurs de condition libre, dans des lieux étrangers à la vie politique ». Les sujets de ces conversations peuvent être simples, anecdotiques, ou plus profonds comme « le bonheur, la vérité, la vie bonne, la poésie, l’art, la musique, la théologie, la cosmologie » (a).

 

Sous l’Ancien Régime, la conversation aristocratique est menacée par la préciosité et le pédantisme.  Mais au sein de ce même ensemble, « la pratique de la conversation privée a évolué selon les époques : guindée sous Louis XIV, à l’image du ton de la cour du roi, libérée sous Louis XV, badine sous Louis XVI » (c). Au delà de ces aspects futiles et légers, cet art de vivre élitiste caractéristique de la période classique constitue aussi un contre-pouvoir (b).
Par la suite, la conversation philosophique trouve un renouveau dans la « conversation des encyclopédistes » (a) ou « conversation des Lumières » (b). Celle-ci a pour objectif la coproduction et la diffusion de connaissances.

 

Sous la Terreur, la conversation devient « d’épouvante ». Lors d’un diner chez Robespierre, réunissant notamment Danton et Saint-Just, « dans le ricochet de répliques fuse comme par mégarde la décision de faire arrêter et exécuter l’excellente Mme de Saint-Amaranthe et sa fille, la très belle et très jeune Mme de Sartines » (a).

 

La conversation postrévolutionnaire est marquée par la prépondérance accordée à l’éloquence des participants (a). Mirabeau en est l’un de ses représentants les plus marquants. Sa parole est puissante, originale et enthousiaste. Elle est expressive et indépendante. Dans la foulée de la Révolution, les règles s’estompent pour laisser place à « (…) une parole énergique qui se met au diapason de ses grandes passions réhabilitées et qui s’expriment hardiment, sans plus aucun souci de mesure ni de convenance » (b).

 

La conversation romantique, « inventée » par Germaine de Staël est « à la fois littéraire, philosophique, éloquente, militante ».  En marge des salons tenus par les grandes dames de la haute société parisienne, les hommes se réunissant aussi dans des « cafés littéraires et philosophiques » (a). Enfin, la bohème du 19ème siècle est une des dernières manifestations de la société de la conversation. La diversité des participants n’est déjà plus de mise : la conversation concerne désormais les seuls « vrais artistes ». La noblesse ayant disparu et la bourgeoisie étant trop affairée au commerce pour perdre son temps dans des loisirs vains, la conversation perd son rôle de melting-pot culturel et idéologique et disparait avec le siècle.

 

Différentes par la forme comme par le contenu de leurs échanges, ces sociétés de conversation ont néanmoins un point commun : « le plaisir d’être ensemble » (a).

 

Deux points de vue coexistent : d’une part, « Rousseau avait dressé le réquisitoire le plus sévère contre le parisianisme dans la conversation, sa frivolité philosophique et politique, sa méchanceté stérile » ; d’autre part, Sainte-Beuve a fait « l’apologie d’une conversation réformée, plus européenne que parisienne, nourrie par les classiques et propre à en nourrir de nouveau ». (a). Le débat court toujours…

 

Ce rapide tour d’horizon permet de tirer un enseignement : la conversation n’est pas monolithique, elle se déploie de différentes façons, dans des contextes très variés.

 

En replaçant le concept dans un contexte marketing – notons au passage que plusieurs historiens des lettres brocardent cette idée même – on peut avancer à la vue de cette grande diversité que les responsables de la conversation de marque gagneraient à trouver leur propre style de conversation. Plutôt que d’appliquer une recette indifférement à toutes les marques, chaque type de conversation est conditionné par le contexte, l’activité et l’audience des organisations. J’espère pouvoir vous faire partager prochainement d’autres extraits de ces travaux.

 

(*) Ce rapide historique est basé sur les travaux de Marc Fumaroli, complétés par les articles de Fabienne Bercegol et Jacques Mousseau (l’article de ce dernier étant lui-même inspiré des travaux de Jacqueline Hellegouarc’h) :

 

(a) FUMAROLI, Marc (1992),  « La Conversation », Trois institutions littéraires, Paris, Gallimard, coll. Folio/Histoire, 1994, pp. 111-210
(b) BERCEGOL Fabienne (1998) « Chateaubriand et l’art de conversation dans les Mémoires d’outre-tombe », Revue d’histoire littéraire de la France, 6, pp. 1099-1124
(c) MOUSSEAU Jacques (1998) « Un art en perdition : la conversation », Communication et langages, 118, 4ème trimestre, pp. 4-12

 

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